
Par Jill Hurley
Le 3 avril2025, le monde s’est réveillé avec un nouvel ordre mondial. Seul l’avenir nous dira dans quelle mesure celui-ci sera structuré.
Pour le moment, les entreprises du monde entier doivent s’attendre à un bouleversement du système commercial mondial. Ce qui était autrefois familier est maintenant étranger. Ce qui était prévisible est maintenant incertain.
Pour la plupart des importateurs, c’est cette incertitude qui est au cœur de l’inquiétude. Trop de changements. Trop rapidement. Trop peu de cohérence.
Chez Livingston, un récent sondage mené auprès de nos clients montre l’impact de cette situation. Près d’un tiers de ceux-ci (29 %) déclarent que 10 à 25 % de leur chiffre d’affaires a déjà été affecté par les tarifs douaniers en vigueur, 18 % ont vu entre un quart et la moitié de leur chiffre d’affaires affecté et 13 % ont vu plus de la moitié de leur chiffre d’affaires affecté. Si l’on se projette dans l’avenir, ces chiffres augmentent et ne diminuent pas. Et ce sont les importateurs de petite et moyenne taille qui subissent une hémorragie disproportionnée.
Un coup d’œil sur les gros titres montre que les entreprises prennent déjà des mesures allant des licenciements temporaires aux incitations à la consommation, en passant par la relocalisation et la délocalisation.
Il n’y a pas de panacée, pas de solution universelle. Chaque entreprise devra déterminer la meilleure façon de faire face aux droits de douane en fonction de la configuration de sa chaîne d’approvisionnement et de ses marchés finaux. Mais il y a des considérations clés que toutes les entreprises devraient prendre en compte lorsqu’elles font ces choix.
L’essentiel
Au cours des six dernières semaines, nous avons assisté à une avalanche de mesures tarifaires provenant de Washington et se répercutant dans le monde entier. Résumons rapidement l’ampleur des mesures tarifaires que nous avons observées.
• un tarif douanier de 25 % sur tous les produits d’origine canadienne et mexicaine entrant aux États-Unis (à l’exception des ressources énergétiques et de la potasse) qui NE satisfont PAS aux règles d’origine de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) ;
• un tarif douanier de 10 % sur toutes les ressources énergétiques d’origine canadienne ;
• un tarif douanier de 10 % sur la potasse d’origine canadienne ;
• un tarif de 25 % sur toutes les marchandises originaires du Mexique (à l’exception de la potasse) ;
• un tarif douanier de 10 % sur toute la potasse d’origine mexicaine ;
• un tarif douanier supplémentaire de 10 % a été imposé le 4 février 2025 sur toutes les marchandises entrant aux États-Unis en provenance de la Chine (veuillez noter que ce tarif douanier est nettement supérieur aux tarifs douaniers existants sur les importations en provenance de la Chine, qui sont imposés depuis 2018) ;
• un autre tarif douanier de 10 % a été ajouté aux marchandises d’origine chinoise à compter du 4 mars 2025 ;
• un tarif douanier de 25 % a été imposé sur tous les tarifs sur l’acier et l’aluminium (peu importe l’origine) le 12 mars 2025 ;
• un tarif douanier de 25 % a été imposé aux pays qui importent du pétrole vénézuélien, à compter du 2 avril 2025 (les pays applicables seront déterminés par le secrétaire d’État) ;
• un tarif douanier de 25 % a été imposé à toutes les importations de véhicules de tourisme, peu importe l’origine, à compter du 3 avril 2025 ;
• un tarif douanier de 25 % sera imposé sur toutes les pièces automobiles à compter du 3 mai 2025 ;
• un tarif douanier de 10 % a été imposé sur toutes les importations aux États-Unis, peu importe l’origine et le produit, à compter du 5 avril 2025 ;
• des tarifs douaniers variables ont été imposés sur les marchandises provenant d’environ 60 pays, à compter du 9 avril 2025 (à l’exception du Canada et du Mexique).
Et voilà. Une multitude de mesures tarifaires ont été prises en l’espace de deux mois et la plupart d’entre elles l’ont été au cours des cinq dernières semaines. Les entreprises qui ont tenté d’élaborer une stratégie le 4 mars se sont probablement retrouvées sur la planche à dessin le 3 avril. Et qui peut deviner ce qui se passera dans le futur?
Malgré tout, les importateurs et les exportateurs doivent commencer quelque part et s’appuyer sur des principes fondamentaux pour guider leur prise de décision. Dans de nombreux cas, ils s’intéressent aux coûts de base – main-d’œuvre, transport, matières premières – et à juste titre. Mais pour réaliser des économies sur les coûts de la chaîne d’approvisionnement dans le contexte des guerres commerciales, il faut aussi se pencher sur les aspects douaniers, souvent négligés lorsque le commerce est libéralisé.
- Ne faites pas encore une croix sur les accords commerciaux
Lorsque les tarifs douaniers contre le Canada et le Mexique ont frappé, le 4 mars, beaucoup étaient prêts à jeter l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) aux poubelles de l’histoire économique.
Il s’avère que cet accord commercial est plus précieux aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été pour les importateurs et les exportateurs nord-américains. En effet, tous les tarifs douaniers énumérés ci-dessus s’ajoutent aux tarifs déjà existants et ne les remplacent pas. Cela signifie que l’ACEUM continue à faire son travail initial de neutralisation des droits de douane de la nation la plus favorisée (NPF).
Mais surtout, du moins pour l’instant, l’ACEUM constitue pour tous les importateurs nord-américains un moyen d’atténuer l’impact des nouveaux tarifs douaniers ; beaucoup prévoient soit une exemption totale des tarifs douaniers sur les produits admissibles à l’ACEUM, soit au moins une exemption sur le contenu d’origine américaine. Dans l’environnement actuel, cela se traduit par des économies massives sur les tarifs douaniers, en particulier pour les importateurs de gros volumes ou de grande valeur.
Mais pour profiter de la possibilité d’éviter les tarifs douaniers sur le contenu originaire des États-Unis, les importateurs devront accorder beaucoup plus d’importance à la détermination et à la vérification de l’origine qu’ils ne l’ont fait par le passé. Une grande partie du travail de base que nous effectuons en tant que consultants commerciaux consiste à examiner les nomenclatures et à solliciter les fournisseurs pour savoir ce qui est fabriqué, où et comment cela se décompose en pourcentage du contenu. Cela peut sembler inutilement fastidieux et superflu pour un taux NPF de 2,5 %, mais maintenant que les taux sont de 25 % ou plus, la valeur semble soudainement évidente. - Les considérations relatives aux flux de trésorerie sont primordiales
Dans un contexte de hausse des tarifs, l’objectif numéro un est de conserver des liquidités. C’est une proposition de plus en plus difficile à mettre en œuvre face à la superposition perpétuelle des droits de douane, qui se traduit par une explosion des dépenses douanières. Pour conserver leurs liquidités le plus longtemps possible, les importateurs devront trouver des moyens de différer ces dépenses le plus longtemps possible.
C’est là qu’interviennent les zones franches. Pour les non-initiés, les zones franches sont des entrepôts et des centres de production où les marchandises destinées à la réexportation peuvent être introduites dans un pays pour y être stockées ou produites sans obligation de tarifs douaniers. Il existe environ 3 500 zones franches dans le monde, dont 200 aux États-Unis, plus de 20 en Chine et plus de 250 en Inde.
L’utilisation des zones franches permet aux importateurs de conserver plus longtemps les importantes sommes d’argent qu’on leur demande aujourd’hui de donner en quantités croissantes. C’est plus d’argent pour la croissance et plus de coussin pour les imprévus.
Dans mon cabinet, lorsque nous réalisons des études d’optimisation commerciale – études des données commerciales visant à identifier les possibilités d’optimisation des opérations – pour le compte d’un client, l’utilisation des zones franches est toujours au cœur des réflexions lorsqu’il s’agit d’examiner comment réduire les coûts et le temps de transit. - L’ingénierie au service de la réduction des coûts
Non, ce n’est pas le genre d’ingénierie que pratiquent les constructeurs automobiles. Dans mon secteur d’activité, on consacre beaucoup de temps à l’ingénierie des tarifs et des origines. La première étape consiste à trouver des moyens de modifier l’état d’un produit pour qu’il relève d’un code tarifaire différent, dont le taux est moins élevé. La seconde consiste à trouver des moyens d’utiliser la géographie à votre avantage en déplaçant les étapes de production ou l’approvisionnement en composants vers des pays qui ont des conditions tarifaires plus favorables avec votre marché final.
L’ingénierie de l’origine sera particulièrement utile aux importateurs américains qui s’approvisionnent actuellement dans l’un des 57 pays que les États-Unis viennent de cibler avec des droits de douane universels substantiels, allant de 11 à 50 %. Le transfert de la production ou de l’approvisionnement vers des pays non ciblés peut aider les importateurs à éviter le pire des tarifs douaniers, mais les considérations douanières doivent être équilibrées avec d’autres facteurs, tels que les compétences et la disponibilité de la main-d’œuvre, les taux d’imposition des sociétés, les infrastructures de transport et portuaires, etc. - Connaissez votre valeur
L’évaluation d’un produit peut sembler un processus intuitif, mais comme pour la plupart des choses liées à la conformité douanière, les difficultés se cachent dans les menus détails. C’est la même chose pour l’atténuation de l’impact tarifaire. Les éléments précis qui sont calculés dans la valeur de votre produit peuvent avoir une influence considérable sur le résultat final (et sur les tarifs qui y sont associés). Il existe de nombreux mécanismes que les importateurs peuvent utiliser pour réduire les coûts liés à la valeur de leurs importations.
À titre d’exemple, la règle de la première vente permet aux importateurs de déduire de la valeur de leur produit toute majoration provenant d’intermédiaires transactionnels. Bien entendu, cela ne s’applique pas à ceux qui achètent des biens directement auprès d’un fabricant, mais il existe d’autres déductions d’évaluation. Étant donné que les tarifs introduits ces dernières semaines sont des tarifs superposés (c’est-à-dire qu’ils s’ajoutent à tous les autres tarifs existants et ne les remplacent pas), une évaluation efficace peut réduire considérablement les dépenses de droits de douane.
Restez agile et continuez
La question de savoir ce qu’il adviendra exactement de la récente explosion des tarifs douaniers, des tarifs douaniers réciproques et du protectionnisme commercial reste une question à mille milliards de dollars. Peut-être que les tarifs seront réduits, modifiés ou complètement annulés. Peut-être qu’il y en aura encore plus. C’est précisément en raison de cette incertitude que les importateurs et les exportateurs devraient utiliser les meilleures pratiques pour renforcer leur résistance au changement.
Au-delà de cela, la clé sera d’établir suffisamment de redondance dans les chaînes d’approvisionnement mondiales pour pivoter rapidement en cas de retournement inattendu de la situation. L’agilité sera essentielle pour naviguer dans ce nouvel environnement. Ceux qui resteront sur leurs positions pourraient se trouver fortement désavantagés, peut-être même à court terme.
Jill Hurley est directrice nationale, Conseil en commerce international de Livingston. En tant que chef des meilleures pratiques, elle dirige des projets d’importation et d’exportation aux États-Unis, offrant des examens complets des modèles d’affaires des clients pour l’évaluation des risques, l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité à l’importation et à l’exportation, la réalisation d’audits, la navigation dans les exigences en matière de licences d’exportation et le soutien en ce qui concerne les questions de recours commerciaux aux États-Unis.