Les entreprises internationales basées aux États-Unis doivent se préparer auxchangements qui suivront les élections

Par Gavin Everson

Même pendant les jours difficiles de la pandémie, alors qu’une grande partie du monde était encore fermée, une lueur d’optimisme est apparue parmi ceux qui investissaient dans le commerce mondial. Avec un nouveau président à Washington, les partisans du libre-échange et du mondialisme nourrissaient l’espoir de voir le marché s’éloigner du protectionnisme et de la volatilité qui avaient caractérisé les années Trump.

Entre 2017 et 2020, le monde a connu des changements spectaculaires dans la dynamique du commerce mondial. Au troisième jour de son mandat, l’administration Trump s’est retirée de l’’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et a écarté tout espoir de ressusciter un accord commercial avec l’UE, au motif que Washington préférait les accords commerciaux bilatéraux aux accords multilatéraux. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’il annonce une renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), ainsi que des tarifs sur les importations d’acier et d’aluminium, même en provenance d’alliés et de partenaires commerciaux clés, au nom de la sécurité nationale. Tout cela en critiquant le mandat et le bilan de l’Organisation mondiale du commerce et en refusant même d’approuver la nomination de juges de la cour d’appel au sein de l’organisation internationale, ce qui la rendrait incapable de faire respecter les règles du commerce mondial. Puis vint la guerre commerciale avec la Chine, qui s’est traduite par l’imposition de droits de douane de 25 % sur la quasi-totalité des importations en provenance de Chine et par des restrictions sur les investissements des entreprises chinoises aux États-Unis.

Cette évolution vers le protectionnisme a marqué un net recul par rapport aux principes d’économie de marché défendus par les précédentes administrations républicaines. Lorsque Joe Biden a été élu, l’espoir était qu’il inaugure une période de relations commerciales plus modérées. Mais ces espoirs se sont rapidement estompés. Le Congrès n’a pas renouvelé le Generalized System of Preferences, qui prévoyait des droits de douane préférentiels pour les pays en développement. Les droits de douane sur les importations en provenance de Chine sont restés en place et de nouvelles sanctions ont été imposées aux produits chinois dont le contenu provient de la région controversée du Xinjiang, où des violations des droits de la personne sont présumées être commises.

De l’autre côté de l’Atlantique, les négociations sur un accord commercial avec le Royaume-Uni ont été suspendues en raison de la consternation du président face à la décision du Royaume-Uni d’établir une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Si l’administration Biden a finalement réussi à trouver un terrain d’entente avec l’UE sur les droits de douane sur l’acier et l’aluminium (auxquels l’UE avait répondu par des droits de douane sur les importations de biens de consommation américains), l’accord a été considéré comme très favorable aux intérêts américains et seulement temporaire par nature.

Investissement en baisse

Tout cela a eu pour effet de refroidir les investissements internationaux. Les investissements directs étrangers (IDE) mondiaux en 2023 ont légèrement augmenté de 3 %, mais seulement en tenant compte des grandes économies. Sans eux, les IDE aurait enregistré une contraction de 18 %. Plus inquiétant, c’est que l’investissement qui a eu lieu n’était qu’une continuation des projets existants. Les nouveaux projets ont diminué d’une année sur l’autre, tout comme les opérations de financement de projets internationaux.

Au niveau régional, il convient de noter que le bloc des économies de l’Asie du Sud-Est, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui a généralement connu des entrées régulières d’IDE, a enregistré une baisse de 16 % en 2023, et ce, bien que les nouveaux projets aient augmenté dans le secteur manufacturier, où les entreprises ont quitté la Chine pour s’installer au Vietnam, en Thaïlande et en Malaisie.

Commerce transpacifique

L’un des principes de l’approche de l’administration Biden en matière de commerce a été d’isoler la Chine par le biais d’alliances avec des économies de marché, plutôt que de l’affronter directement. En 2021, il a signé l’accord AUKUS, un partenariat de sécurité entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie conçu pour contrôler l’activité militaire de la Chine dans le Pacifique Sud. Sur le plan économique, l’administration a consacré beaucoup de temps et de dollars (1,2 milliard de dollars) à courtiser les pays d’Asie du Sud-Est sous forme de financement du développement économique. L’objectif est de rapprocher ces pays de l’orbite des États-Unis et de les éloigner de celle de la Chine.

La volonté de l’administration Biden d’éloigner son économie de celle de la Chine ne fait guère de doute. Les droits de douane sur les produits chinois restent en place et l’administration les a renforcés en mai 2024, en augmentant les taux principalement (mais pas exclusivement) pour les produits issus des technologies propres.

Toutefois, alors qu’un nouveau mandat de l’administration Biden risquerait d’aboutir à la même chose, un retour de l’administration Trump est bien plus susceptible d’amplifier les tensions transpacifiques. La campagne de Donald Trump a déjà laissé entendre qu’elle porterait à 60 % les droits de douane sur les importations chinoises. Cela s’ajoute à la proposition d’un droit de douane universel de 10 % sur toutes les importations aux États-Unis. En outre, la campagne de Trump a déjà jeté son dévolu sur la production chinoise au Mexique en vue de l’imposition de futurs droits de douane.

Il y a peu de raisons de croire que le blocage actuel des juges de la cour d’appel de l’OMC soit susceptible de prendre fin sous une administration Trump, qui est à l’origine du blocage et qui a reçu un soutien bipartisan sous l’administration Biden.

Commerce transatlantique

Les relations commerciales entre les États-Unis et leurs partenaires de l’autre côté de l’Atlantique devront être suivies de près par les investisseurs, en particulier ceux qui ont des intérêts dans le commerce transatlantique. Les relations entre les États-Unis et l’UE ont été cordiales ces dernières années, mais des questions géopolitiques essentielles continuent de créer des tensions. L’une d’elles est l’incertitude entourant l’engagement de l’Amérique envers l’OTAN face à l’agression russe. La deuxième est l’Investment Reduction Act (IRA) de l’administration Biden, qui fournit des incitatifs fiscaux pour l’achat de véhicules électriques produits au pays, désavantageant les producteurs étrangers de véhicules électriques.

En revanche, quel que soit le candidat à la Maison Blanche en novembre, l’administration américaine devra composer avec un Parlement européen qui s’est résolument orienté vers la droite et un nouveau gouvernement de centre-gauche au Royaume-Uni. Chacune de ces parties devra faire des choix rapides et définitifs sur la manière dont elle souhaite canaliser son énergie diplomatique. L’UE devra choisir de se rapprocher de Washington ou de Pékin. Permet-elle d’utiliser des technologies chinoises dans l’Union européenne? Prendra-t-elle position contre les pratiques de dumping de la Chine? Ces décisions seront surveillées de près à Washington et à Pékin. De même, un nouveau gouvernement de centre-gauche au Royaume-Uni, qui est plus au centre qu’à gauche, devra également trouver un équilibre prudent. Le Royaume-Uni, qui était historiquement le premier contributeur d’IDE aux États-Unis en dehors de l’Amérique du Nord, est aujourd’hui le quatrième contributeur. Londres aspire à un accord de libre-échange avec les États-Unis depuis des années, car il s’agit de la récompense en or pour le mouvement du Brexit. Cet accord n’est pas encore devenu réalité. La campagne de Trump a fait part de sa volonté de négocier ledit accord, mais pour que Londres puisse le faire, celui-ci devra accepter des conditions qui mettraient en péril l’une des principales priorités de son nouveau gouvernement, à savoir l’amélioration des conditions commerciales avec l’UE, son principal partenaire commercial. En bref, Londres devra choisir entre l’amélioration des échanges avec l’UE et la libéralisation des échanges avec les États-Unis.

Malgré toutes les tensions entre les États-Unis et l’UE, les échanges commerciaux entre les deux parties ont néanmoins connu une croissance substantielle. Avant la pandémie, 805,3 milliards de dollars de marchandises étaient échangés de part et d’autre de l’Atlantique. En 2022, ce chiffre aura augmenté de 17 % pour atteindre 943,9 milliards de dollars. Et il n’y a pas que les chiffres du commerce qui ont augmenté. Chaque partie a réalisé des investissements importants dans l’économie de l’autre. Cela démontre que le secteur privé reste optimiste quant aux perspectives de commerce dans l’Atlantique malgré les tensions cordiales, mais de plus en plus marquées.

Le lien avec le Royaume-Uni

Les entreprises internationales voudront suivre de près non seulement le sort de l’accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni, mais aussi la permanence de l’accord commercial avec le Canada qui remplacera l’accord provisoire actuel.

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche augmenterait les chances d’un accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni, même si les négociations seraient certainement difficiles. L’importance de cette question pour les entreprises américaines engagées dans le commerce mondial ne doit pas être sous-estimée. Les entreprises américaines ayant des intérêts des deux côtés de la Manche sont accablées de charges administratives depuis la conclusion du processus de Brexit. De nouvelles procédures douanières, des exigences réglementaires plus strictes et une complexité accrue lorsque les marchandises traversent la mer d’Irlande sont autant de facteurs qui ont contribué à décourager les investissements américains au Royaume-Uni.

La clé réside dans une meilleure harmonisation des procédures douanières de l’UE et du Royaume-Uni. L’accord commercial entre l’Union européenne et le Royaume-Uni a rendu le commerce transmanche difficile. Aujourd’hui, les entreprises américaines qui exportent vers l’UE en transitant par le Royaume-Uni sont confrontées à un défi de taille : elles doivent s’assurer que les marchandises sont correctement catégorisées lorsqu’elles entrent au Royaume-Uni selon un régime douanier et dans l’UE selon un autre régime douanier. Ajoutez à cela des régimes réglementaires disparates et des droits de douane à acquitter, et le commerce transatlantique ne semble plus aussi attrayant.

Si les États-Unis et le Royaume-Uni concluent un accord de libre-échange, la charge douanière ne fera probablement que s’intensifier, car les importateurs britanniques de produits américains devront être encore plus scrupuleux en matière d’administration douanière afin de bénéficier de taux de droits préférentiels. En revanche, ils économiseront beaucoup sur les droits de douane et leurs partenaires américains bénéficieront d’une plus grande concurrence au niveau des prix sur le marché mondial.

Le lien canadien

Comme indiqué plus haut, les entreprises américaines ayant des intérêts outre-Atlantique voudront suivre de près la finalisation de l’accord entre le Royaume-Uni et le Canada. L’accord est déjà en place provisoirement depuis la fin du Brexit et reprend, pour l’essentiel, les termes de l’accord de libre-échange que le Canada a conclu avec l’UE depuis 2017. Cela permettra aux entreprises américaines qui cherchent à pénétrer les marchés du Royaume-Uni ou de l’Union européenne d’établir au Canada des installations de production à partir desquelles elles pourront exporter vers le Royaume-Uni.

L’accord commercial entre le Canada et le Royaume-Uni présente toutefois un certain degré de redondance. En effet, le Royaume-Uni a déjà été accepté dans le PTPGP, dont le Canada est membre, en attendant la ratification par six des membres de l’accord commercial. Jusqu’à présent, trois ont déjà terminé la ratification. Le Canada n’en fait pas partie. Des tensions subsistent entre les deux parties en ce qui concerne le commerce de la viande bovine.

La bonne nouvelle pour les exportateurs américains est qu’une fois que l’inclusion du Royaume-Uni aura été ratifiée par six membres du PTPGP, ils pourront atteindre le marché britannique, et, par extension, le marché européen, en établissant leur production au Canada ou au Mexique (tous deux membres du PTPGP) et en exportant vers le Royaume-Uni à partir de là. Le défi consistera à s’assurer que les marchandises qui sont finalement acheminées vers l’UE subissent une transformation substantielle pour pouvoir bénéficier de l’exonération des droits de douane à leur entrée dans l’UE.

Principaux points à prendre en considération

Les entreprises américaines ayant des intérêts outre-Atlantique (et dans le monde entier) devraient examiner leurs chaînes d’approvisionnement afin de réduire le risque géopolitique, qui a augmenté ces dernières années. Pour ceux qui s’intéressent plus particulièrement au commerce transatlantique, voici une liste non exhaustive des éléments clés à prendre en considération.

Marché intermédiaire : Où vont aboutir les marchandises que vous déplacez? Si la destination finale est l’Union européenne, et non le Royaume-Uni, la complexité d’une couche supplémentaire d’exigences réglementaires et douanières s’en trouve accrue. Cela nécessite également de comprendre ce qui constitue une transformation substantielle dans le cadre de l’accord commercial entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Origine de la production : Les entreprises dont les chaînes d’approvisionnement sont intégrées à l’échelle mondiale voudront localiser stratégiquement leurs installations de production afin d’optimiser leurs chaînes d’approvisionnement pour l’exonération des droits de douane. Comme indiqué ci-dessus, le fait de localiser la production au Canada ou au Mexique plutôt qu’aux États-Unis ou sur un marché asiatique ne faisant pas partie du PTPGP pourrait signifier la perte d’économies significatives en termes de droits de douane.

Souplesse de la chaîne d’approvisionnement : Avec de nouveaux gouvernements au Royaume-Uni et dans l’UE, et potentiellement un nouveau gouvernement aux États-Unis, les entreprises doivent être prêtes à modifier leurs processus de production et leurs chaînes d’approvisionnement pour s’adapter aux changements positifs et potentiellement négatifs des relations commerciales.

Nature des marchandises : Les entreprises américaines produisant des marchandises dégageant beaucoup de carbone et cherchant à investir dans la production au Royaume-Uni ou dans l’UE doivent être conscientes de la nouvelle législation de l’UE (et bientôt du Royaume-Uni) qui exige une comptabilité onéreuse de l’empreinte carbone, non seulement pour la production ayant lieu dans l’UE/le Royaume-Uni, mais aussi pour tous les composants du produit importé.

Logistique :Le recours à des accords de libre-échange tels que le PTPGP présente des avantages considérables, mais le Royaume-Uni est le seul pays de l’Atlantique à faire partie de ce bloc commercial. Cela rend la logistique du transport de marchandises à partir du littoral du Pacifique beaucoup plus longue et coûteuse. Les marchandises à température contrôlée, les denrées périssables et les produits très demandés qui nécessitent une mise sur le marché rapide ne sont pas idéaux pour les chaînes d’approvisionnement qui s’étendent à la fois sur l’Atlantique et le Pacifique.

Le résultat de l’élection américaine de 2024 pourrait vraisemblablement entraîner un changement radical dans la manière dont le pays interagit avec le système commercial mondial, ou le changement pourrait être plutôt négligeable. La grande question est de savoir si ce changement permettra aux États-Unis de redevenir un acteur du commerce mondial ou s’ils se replieront davantage sur eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, les entreprises américaines ayant un intérêt mondial doivent être prêtes à répondre.

Gavin Everson possède plus de 35 ans d’expérience en gestion des douanes, du commerce international et de la logistique, en particulier dans la mise en œuvre de processus et de systèmes de douanes et de logistique. Il a la responsabilité de conseiller et de livrer des solutions douanières aux clients de l’EMOA de Livingston.