Cet article a été publié initialement dans le Global Trade Magazine le 19 décembre 2017.
Par David Rish, président du Commerce mondial chez Livingston International.
Dans le jeu des négociations commerciales, le choix du moment est un facteur essentiel et la perception est la réalité.
Ces manœuvres politiques sont devenues évidentes au cours des dernières semaines, alors que le Canada cherche à établir des relations commerciales plus étroites avec la région Asie-Pacifique, mais s’est abstenu de concrétiser ces accords de principe.
Les problèmes ont commencé il y a quelques semaines, lors de la Conférence économique Asie-Pacifique, alors que des membres importants de ce que bon nombre de personnes croyaient être un Partenariat transpacifique revitalisé (maintenant rebaptisé Partenariat transpacifique global et progressiste [PTPGP]) ont été bloqués par le refus du premier ministre Justin Trudeau d’accepter les conditions du PTPGP, ce qui a compromis l’achèvement d’un accord commercial de principe.
La délégation canadienne est restée vague sur les motifs, évoquant des préoccupations sur la concurrence dans l’industrie automobile, les droits de propriété intellectuelle et les exemptions culturelles. Il serait injuste de dire que le Canada a été le seul à exprimer des inquiétudes au sujet des conditions proposées dans le PTPGP, mais les dix autres parties étaient censées être prêtes à signer un accord de principe avant que la délégation canadienne ne décide de s’abstenir.
Les difficultés se sont poursuivies la semaine dernière quand M. Trudeau a visité la Chine dans l’espoir que des pourparlers exploratoires en vue d’un accord de libre-échange se poursuivraient par des négociations officielles. En fait, la délégation canadienne est partie sans aucun engagement de la part de Beijing en matière de négociations commerciales. L’impasse est surtout due à l’insistance du Canada à inclure des clauses progressives sur la main-d’œuvre, l’environnement et le sexe.
En toute équité, M. Trudeau n’a pas eu tellement le choix d’inclure de tels éléments progressifs. Selon le Globe & Mail, une récente « tournée de consultation » par le gouvernement fédéral sur les possibilités d’un accord commercial avec la Chine a révélé des préoccupations de l’ensemble des intervenants de l’industrie sur la possibilité que le Canada compromette ses valeurs et nuise à son avantage concurrentiel en raison du libre-échange avec la Chine. L’exclusion des clauses libérales aurait confirmé les pires craintes des gens d’affaires canadiens qui ont de la difficulté avec les principaux aspects de faire des affaires en Chine.
En fait, le manque de progrès réalisé à la réunion de l’APEC et à Beijing ne signifie nullement que le Canada ne signera pas à un certain moment le PTPGP ou un accord commercial sino-canadien (bien que ce dernier paraisse beaucoup moins probable à court terme). Cela pourrait, par contre, légèrement désavantager l’équipe de négociations canadienne de l’ALENA, en janvier 2018, lors de la sixième ronde de négociations qui se déroulera à Montréal.
On peut raisonnablement croire qu’au moins une partie de l’élan qui sous-tend les négociations commerciales du Canada avec le groupe du PTPGP et avec Beijing consistait à démontrer un progrès vers la diversification commerciale et qu’il s’éloignait de sa dépendance traditionnelle du commerce avec les États-Unis. Il est difficile de croire que les pourparlers exploratoires avec la Chine qui coïncidaient avec l’intronisation du président Donald Trump qui avait été plutôt transparent sur son souhait de renégocier l’ALENA ou d’y mettre fin étaient le fruit du hasard. De même, l’élan visant à ranimer ce que l’on croyait être un PTP défunt est survenu au moment où les négociations de l’ALENA tournent mal pour la délégation canadienne.
On peut donc croire que l’initiative visant à obtenir des accords commerciaux avec les principaux alliés asiatiques, même des accords de principe, pourrait envoyer le signal aux États-Unis que le Canada a d’autres options que l’ALENA, ce qui accroît son pouvoir de négociation. Même si les négociations commerciales en Asie font peu pour améliorer la position du Canada par rapport à l’ALENA, à tout le moins, elles laisseront le Canada en meilleure position, en ce qui concerne d’autres partenaires commerciaux dans un monde post-ALENA.
Aujourd’hui, aucun de ces scénarios ne semble pouvoir se concrétiser, du moins pas dans un avenir immédiat.
Toutefois, il faut souligner que les membres participants du PTPGP ont déjà souligné avoir trouvé des façons de respecter certaines des exigences canadiennes. Peut-être la décision de M. Trudeau de quitter la table de négociations d’un accord de principe a-t-elle eu exactement l’effet qu’il en attendait. Si les modifications annoncées du PTPGP répondent aux besoins du Canada, l’accord pourrait être une indication pour les négociateurs des États-Unis que le Canada est prêt à quitter la table des négociations de l’ALENA si les conditions de l’accord ne sont pas adéquates.
Si la perception est la réalité dans le jeu des négociations commerciales, le résultat du sommet de l’APEC, en ce qui concerne l’évolution du PTPGP sera critique, sans égard au fait que le Canada ait, ou non, l’intention de l’utiliser comme moyen d’améliorer sa position de négociation avec Washington. Au Capitole, la perception sera, soit que le Canada est un solide négociateur ayant des options de marché international viables à part les États-Unis, soit un pays dont la dépendance continuelle par rapport au commerce américain entraîne un pouvoir de négociation limité.
Étant donné le nombre d’accords internationaux et d’ententes conclues ou rompues simultanément, l’ALENA, le PTPGP, le Brexit, le Partenariat économique régional global (RCEP) et d’autres, le processus est devenu une sorte de jeu d’échecs. La réussite de chaque pays reposera, du moins en partie, sur sa capacité d’établir au bon moment la perception de sa force au sein des alliances, car le temps presse.