Par Michael Zobin
L’écrasante majorité des Canadiens ayant des intérêts commerciaux aux États-Unis se sont réveillés le 6 novembre avec un certain degré d’inquiétude dans l’air. Leurs voisins du sud ont fait entendre leur voix et leurs préoccupations et ont renvoyé Donald Trump et son économie d’homme fort à la Maison Blanche.
Pour ceux dont les moyens de subsistance sont directement liés à la libre circulation des marchandises à la frontière canado-américaine, la perspective d’une deuxième administration Trump est une source d’inquiétude compréhensible. Nombreux sont ceux qui se souviennent des droits de douane de 25 % imposés par le président élu sur l’aluminium et l’acier canadiens au nom de la sécurité nationale, ainsi que de la longue période d’incertitude entourant le sort du libre-échange entre le Canada et les États-Unis lors de la négociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (aujourd’hui l’Accord Canada–États-Unis–Mexique ou l’ACEUM).
Que peuvent donc attendre les Canadiens et, plus particulièrement, les entreprises canadiennes engagées dans le commerce avec les États-Unis d’un second mandat de Trump? Et que peuvent-ils faire, le cas échéant, pour en atténuer l’impact?
Plus de droits de douane
L’administration Trump devrait imposer des droits de douane universels de 10 % à 20 % sur toutes les importations. Les droits de douane sont destinés à réduire le déficit américain et à subventionner de futures réductions d’impôts, et rien n’indique pour l’instant que le Canada en serait exempté. Pour les entreprises canadiennes qui ont des clients américains – qu’elles soient B2B ou B2C – cela signifie une baisse immédiate de la compétitivité ainsi qu’un impact plus large sur les performances économiques globales.
TD Economics estime qu’un droit de douane de 10 % entraînerait une réduction de 5 % des activités d’exportation vers les États-Unis d’ici 2027. En supposant que le Canada riposte par l’instauration de tarifs douaniers (comme il l’a fait lors du conflit commercial sur l’acier et l’aluminium en 2017), TD estime que les volumes d’importation en provenance des États-Unis diminueraient également et entraîneraient une hausse des coûts pour les entreprises canadiennes qui dépendent de ces importations. Ces coûts conduiraient presque certainement à des augmentations de prix pour les consommateurs qui sont encore sous le choc d’une période d’inflation élevée.
Bien qu’une récession soit peu probable, il ne fait aucun doute qu’il y aura des retombées économiques, étant donné que plus de 75 % des exportations canadiennes sont liées aux États-Unis, les secteurs de l’automobile, des produits chimiques, de l’énergie, de la fabrication et de la sylviculture étant particulièrement exposés.
Mais qu’en est-il de cet accord de libre-échange?
Certains espèrent que les petits caractères de l’ACEUM interdiront la mise en œuvre de droits de douane universels sur les exportations canadiennes vers les États-Unis, et que Washington ne prendra pas le risque de froisser ses deux plus grands (et plus proches) partenaires commerciaux en déclenchant une guerre commerciale avec eux.
L’une des considérations qui jouent en défaveur du Canada est que la première administration Trump a eu tendance à cibler les droits de douane sur les pays avec lesquels il présentait un déficit commercial bilatéral excessif. Le commerce global entre les deux pays a augmenté de 46 % depuis l’entrée en vigueur de l’ACEUM en 2020. Cependant, le déficit commercial des États-Unis avec le Canada s’est également creusé, passant de 13,8 milliards de dollars en 2020 à 64,2 milliards de dollars en 2023. Une grande partie de cette augmentation peut être attribuée aux droits de douane imposés par Washington sur les produits en provenance de Chine, qui ont incité de nombreuses entreprises américaines à délocaliser leur production plus près de chez elles, au Canada et au Mexique.
Mais personne ne sait si ces détails feront impression sur les responsables de la politique commerciale à Washington en 2025. Le scénario le plus probable est que l’administration Trump utilisera le déficit et toutes les pratiques qu’elle juge injustes pour les intérêts américains (par exemple, le secteur laitier canadien soumis à la gestion de l’offre) comme monnaie d’échange lorsque l’ACEUM sera réexaminé en 2026.
Le facteur X de ces négociations sera la présence ou non d’un nouveau gouvernement au Canada à ce moment-là. Avec des élections prévues au plus tard en octobre 2025 et des sondages montrant que les électeurs favorisent le Parti conservateur pour remplacer les libéraux en place (avec lesquels l’administration Trump est déjà en désaccord), l’examen de l’ACEUM pourrait se dérouler différemment.
Acheter (plus) américain?
L’un des principes clés de la politique commerciale de Trump au cours de son premier mandat était une préférence pour les biens et services fabriqués aux États-Unis, en particulier dans le cadre de projets financés par le gouvernement fédéral. De nombreuses entreprises canadiennes se sont ainsi retrouvées désavantagées (bien qu’il y ait eu des cas où elles ont pu contourner les réglementations). L’administration Biden a maintenu ces politiques, ce qui a incité le gouvernement fédéral canadien à accorder des subventions considérables aux entreprises désireuses de s’implanter au Canada plutôt qu’aux États-Unis. C’est particulièrement vrai dans le secteur vert, où le gouvernement a accordé des subventions pour soutenir la fabrication de véhicules électriques. Le Directeur parlementaire du budget (DPB) du Canada estime que l’aide totale du gouvernement fédéral s’élève à 34,1 milliards de dollars et celle des gouvernements provinciaux à 21,1 milliards de dollars.
Alors qu’une administration Trump 2.0 devrait supprimer la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) de l’administration Biden, dans laquelle les clauses « acheter américain » sont intégrées, il y a de bonnes raisons de croire que la nouvelle administration créera ses propres clauses comparables pour atteindre les mêmes objectifs. Il se peut donc que le gouvernement fédéral canadien accorde davantage de subventions aux entreprises étrangères désireuses d’investir au Canada, mais cela dépendra en grande partie du parti qui sera au pouvoir à Ottawa en octobre 2025.
Diversification (cette vieille marotte)
Ceux qui ont une bonne mémoire se souviendront qu’à l’époque de la renégociation de l’ALENA, le gouvernement fédéral du Canada vantait les mérites de la diversification des échanges. « Ne mettons pas tous nos œufs dans le panier américain », tel était le message d’Ottawa. « Les entreprises canadiennes doivent se défaire de leur dépendance à l’égard de leur voisin du sud », avaient déclaré les responsables politiques. Il a ensuite entrepris de faciliter les échanges commerciaux en signant l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), qui inclut dix autres pays riverains du Pacifique (l’adhésion du Royaume-Uni a été ratifiée par six membres et le reste, y compris le Canada, devrait le faire avant la fin de l’année 2025). L’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne a été présenté comme une alternative fiable au commerce américain. Des rumeurs de relations de type libre-échange avec les pays d’Asie du Sud-Est ont été présentées comme une future voie de libération économique par rapport aux États-Unis.
Une fois que l’ALENA a été renégocié pour devenir l’ACEUM et que les gouvernements des trois pays ont été en mesure de le vendre à leurs électeurs comme la meilleure chose à faire, l’accent mis sur la diversification s’est rapidement estompé. Avec la menace de tarifs universels, de tarifs réciproques et d’une nouvelle révision de l’ACEUM à l’horizon, il faut s’attendre à un effort de marketing renouvelé sur la diversification des échanges.
Que devraient envisager les importateurs et exportateurs canadiens?
À surveiller de près : La plupart des décideurs commerciaux savent que des droits de douane sont envisageables, mais la question est de savoir comment ils seront appliqués : de manière universelle ou chirurgicale. Le président élu est connu pour utiliser les droits de douane comme outil de négociation pour obtenir des concessions. Le résultat est souvent moins désastreux que prévu.
Pas de panique : La mise en œuvre de tarifs douaniers – en particulier s’ils sont appliqués universellement – ne signifie pas nécessairement une perte d’activité. Dans de nombreux cas, les acheteurs américains se sont habitués aux droits de douane. Les importations en provenance de Chine – dont la grande majorité est frappée d’un droit de douane de 25 % – continuent d’affluer régulièrement aux États-Unis, avec 426 milliards de dollars de marchandises importées en 2024.
Créer des redondances dans la chaîne d’approvisionnement : La redondance ne semble peut-être pas très efficace, mais les chaînes d’approvisionnement intelligentes comptent plusieurs fournisseurs pour le même produit ou composant, de sorte que les entreprises peuvent adapter la production en fonction des besoins et pivoter si un fournisseur n’est pas disponible pour adapter la production en fonction des besoins. Si vous dépendez uniquement d’un fournisseur américain, recherchez un fournisseur comparable ailleurs afin d’avoir un plan B.
Envisager l’ingénierie tarifaire : Lorsque les droits de douane ne sont pas universellement appliqués, il est possible de réduire le montant des droits à acquitter en important des produits dans un autre État afin qu’ils soient classés différemment en vertu des règles douanières.
Regarder plus loin : Le message de diversification du gouvernement n’est pas sans fondement. Il est peut-être facile de vendre ou d’acheter aux États-Unis en raison de leur proximité, mais les progrès de la politique commerciale et des transports peuvent rendre les échanges avec les pays du monde entier beaucoup plus simples que par le passé. N’excluez pas les classes moyennes en plein essor en Chine, en Inde et ailleurs.
Michael Zobin est directeur des services-conseils en commerce international chez Livingston International, au Canada. Il travaille avec ses clients pour les aider à minimiser les risques et à mettre en œuvre de nouveaux processus pour atteindre des niveaux plus élevés de conformité douanière et de la chaîne d’approvisionnement. Son expertise porte sur l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement, l’alignement sur les exigences réglementaires des accords de libre-échange, le report des droits de douane et les ristournes, ainsi que l’évaluation en douane.