Par Michael Zobin
Les importateurs canadiens pourraient bientôt disposer d’un nouvel éventail d’options de libre-échange en Asie. Ottawa a annoncé son intention de négocier un certain degré de coopération économique avec l’Association des nations asiatiques du Sud-Est (ANASE), un groupe de 10 pays en développement réunis pour promouvoir des intérêts communs et attirer les investissements.
L’annonce de novembre 2021 a suivi un changement similaire plus tôt dans l’année pour négocier le libre-échange avec l’Indonésie, le plus important partenaire commercial du Canada parmi l’ANASE. Tout cela fait partie d’une initiative plus large d’Ottawa visant à diversifier les options commerciales en réponse au sentiment protectionniste croissant aux États-Unis.
Bien que cette diversification soit louable, elle place les importateurs face à un réseau de plus en plus complexe, d’autant plus que les accords multilatéraux commencent à se chevaucher. Par exemple, le Mexique est membre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), mais aussi de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), qui regroupe 11 pays du littoral du Pacifique. En théorie, les importateurs canadiens qui importent des marchandises du Mexique pourraient utiliser l’un ou l’autre de ces accords pour obtenir des taux de droits préférentiels, mais en pratique, il se peut qu’il ne soit pas aussi avantageux de le faire. De même, quatre des pays de l’ASEAN sont membres du PTPGP et presque tous les pays de l’ASEAN sont membres du Partenariat régional économique global (PREG) récemment adopté, un accord commercial impliquant 15 pays en Asie-Pacifique. Toutefois, cela ne signifie pas que les importateurs canadiens peuvent nécessairement accéder aux avantages du PREG de la même manière que les pays membres.
Les importateurs doivent tenir compte de plusieurs facteurs lorsqu’ils évaluent la façon d’utiliser les accords commerciaux qui se chevauchent. Une évaluation minutieuse pourrait faire la différence entre des économies de coûts et des chaînes d’approvisionnement rationalisées, des maux de tête administratifs et des dépassements de coûts.
Évaluation de l’avantage tarifaire
Les accords commerciaux ne sont pas tous égaux. Bien que la plupart des accords commerciaux aient pour objectif principal de réduire ou d’éliminer les barrières tarifaires, il existe différentes façons d’y parvenir. Par exemple, il peut y avoir deux accords commerciaux qui éliminent tous deux les droits de douane sur le même produit. Toutefois, l’un des accords peut prévoir un contingent tarifaire qui appliquera des droits de douane à la marchandise en question une fois un certain seuil dépassé. Dans d’autres cas, les droits de douane ne sont pas nécessairement éliminés, mais considérablement réduits et pas toujours au même niveau.
La première étape, la plus simple, pour un importateur qui cherche à déterminer quel accord commercial est le plus avantageux, consiste simplement à examiner le statut tarifaire de la marchandise importée. Si tout est égal, la prochaine étape consiste à évaluer les règles d’origine.
Contournement du fardeau administratif
Pour les non-initiés, les règles d’origine sont les règles qui déterminent si un produit importé peut bénéficier d’un droit préférentiel. Dans certains cas, les règles d’origine peuvent être simples et directes, ne nécessitant qu’une analyse minimale (c’est-à-dire un changement tarifaire) permettant de délivrer une preuve d’origine dans la région associée à l’accord commercial. Dans d’autres cas, elles peuvent être beaucoup plus onéreuses. Prenons, par exemple, les règles d’origine associées aux automobiles dans le cadre de l’ACEUM, qui exigent le respect d’un large éventail d’exigences très précises pour pouvoir bénéficier d’une exemption de droits. Les constructeurs automobiles doivent prouver que 75 % du véhicule a été produit en Amérique du Nord, que 45 % du véhicule est fabriqué par des ouvriers gagnant au moins 16 dollars l’heure et (le cas échéant) que 70 % du contenu en acier et en aluminium provient d’Amérique du Nord.
Les accords commerciaux offrent différents degrés de complexité en matière de conformité. Bien que le secteur de l’automobile dans le cadre de l’ACEUM soit un exemple extrême, la charge administrative varie d’un accord commercial à l’autre et de nombreux importateurs peuvent choisir de tirer parti d’un accord commercial dont les règles d’origine exigent une plus grande facilité de conformité. Cependant, la facilité d’administration doit être équilibrée par rapport aux critères d’origine.
Déplacement de marchandises à travers plusieurs frontières
Étant donné le chevauchement du PTPGP, d’un accord commercial de l’ANASE et du PREG, on pourrait supposer que le déplacement de marchandises d’un pays non membre du PTPGP ou de l’ANASE au sein du PREG vers un pays du bloc de l’ANASE ou du PTPGP, puis le déplacement de ces marchandises vers le Canada seraient acceptables. Mais ce ne sera probablement pas le cas.
La clé est de comprendre les exigences d’origine du produit. Les règles d’origine exigeront que le produit subisse un certain degré de transformation au cours du processus de transbordement afin de pouvoir bénéficier de droits préférentiels à son arrivée au Canada. Par exemple, le transfert d’un produit électronique grand public fabriqué principalement en Chine vers le Vietnam (un membre du PTPGP et de l’ANASE) pour une modification mineure et un assemblage final peut être insuffisant pour bénéficier d’une exemption de droits dans le cadre du PTPGP ou d’un futur accord commercial avec l’ANASE. L’importateur devra fournir une certification de l’exportateur attestant que le produit satisfait aux exigences en matière d’adhésion aux règles d’origine, ce qui peut inclure le déplacement des tarifs et l’analyse de la teneur en valeur régionale en montrant que, dans le cas de la teneur en valeur régionale, un pourcentage minimum du produit a été fabriqué au Vietnam (et/ou dans un autre pays du PTPGP) afin de bénéficier de l’exemption de droits.
La question du transbordement et des règles d’origine est tout aussi importante pour les importateurs canadiens qui importent des produits intermédiaires ou partiellement finis destinés à être produits et assemblés au Canada avant d’être réexportés aux États-Unis. Bien que le Canada et les États-Unis soient tous deux membres de l’ACEUM, cela ne signifie pas que les marchandises produites principalement dans un pays du PTPGP peuvent transiter par le Canada vers les États-Unis sans modification importante. Les règles d’origine de l’ACEUM nécessiteraient une modification importante du produit pour qu’il y ait un changement de tarif et éventuellement un calcul de la valeur régionale qui serait admissible à des droits préférentiels en vertu de l’ACEUM. Le fait de tirer parti du PTPGP pour obtenir des droits préférentiels sur des biens intermédiaires importés d’Asie avant d’être réexportés aux États-Unis peut ne pas être avantageux si une modification importante n’a pas lieu au Canada, car cela pourrait empêcher un importateur américain de profiter des droits préférentiels prévus par l’ACEUM, ce qui rendrait le produit de l’exportateur canadien moins concurrentiel. Les importateurs doivent étudier attentivement les exigences spécifiques des règles d’origine afin de déterminer quel accord de libre-échange est le plus avantageux, ou comment ils pourraient utiliser les deux accords.
Les voies de transport, un facteur clé
La manière dont les marchandises sont acheminées vers leur destination finale est également un point essentiel que les importateurs doivent prendre en considération lorsqu’ils décident de l’accord commercial à utiliser. Par exemple, un importateur canadien pourrait utiliser le PTPGP pour importer des marchandises du Mexique. Si la marchandise est transportée par voie maritime directement du Mexique au Canada, il pourrait y avoir une raison d’utiliser le PTPGP. Il est cependant plus probable que les marchandises circulant entre le Mexique et le Canada soient transportées par voie terrestre via les États-Unis. Si l’importateur utilise l’ACEUM pour transporter les marchandises, il ne devra certifier les marchandises qu’une seule fois, car la certification s’appliquera aux États-Unis et au Canada. Sinon, il devra certifier les marchandises en vertu de l’ACEUM pour leur entrée aux États-Unis et perdre les privilèges préférentiels du PTPGP pour l’entrée au Canada, car les marchandises n’ont pas été expédiées directement d’un pays du PTPGP à un autre (les États-Unis ne font pas partie du PTPGP). Autrement, les marchandises pourraient être transférées du Mexique au Canada en douane par l’intermédiaire des États-Unis.
Les importateurs canadiens qui sont également des importateurs non-résidents aux États-Unis et qui expédient des marchandises de l’Asie vers des ports américains avant de diviser la cargaison par transport terrestre vers des destinations distinctes au Canada et aux États-Unis doivent être conscients que le fait de tirer parti du PTPGP pour les marchandises entrant au Canada (transportées en douane aux États-Unis) tout en payant les taux de la nation la plus favorisée aux États-Unis n’est pas susceptible d’entraîner des économies de coûts. Il peut être plus avantageux de créer des envois distincts au Canada et aux États-Unis.
Connaître les règles
Comprendre les règles d’origine et savoir comment s’y conformer n’est pas chose facile pour une entreprise. Les accords commerciaux comportent souvent des centaines de pages et exigent une bonne compréhension des nuances des règles commerciales, ce que peu de propriétaires et de gestionnaires d’entreprise possèdent. Tenter de comprendre les règles d’origine d’un accord commercial (et la manière dont elles s’articulent avec les itinéraires de transport) est un véritable défi, mais le faire pour plusieurs accords et effectuer des comparaisons croisées peut être carrément vexant.
Les entreprises qui cherchent à optimiser leur utilisation des accords commerciaux multilatéraux voudront consulter des experts en la matière, tels que des consultants en commerce, des avocats-conseils spécialisés dans le commerce et des experts en logistique, afin d’identifier non seulement les économies possibles, mais aussi les risques cachés qui pourraient entraîner des mesures punitives de la part des entités gouvernementales ou une charge administrative qui accable les ressources humaines d’une organisation.
Michael Zobin est directeur des services-conseils en commerce international chez Livingston International, au Canada. Son expertise comprend l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement, le report des droits et les remboursements, la réalisation d’examens de programmes de conformité, l’élaboration de procédures de conformité, la divulgation volontaire et l’examen après entrée.