Par Cora Di Pietro
Dans le domaine du commerce international, peu de choses se produisent de manière isolée et rien ne change rapidement. C’est la réalité simple d’un monde interdépendant et interconnecté dans lequel les relations sont enracinées dans des contrats pluriannuels de plusieurs millions de dollars (parfois de plusieurs milliards de dollars).
Pourtant, les choses changent. Lentement.
Près de cinq ans de conflit commercial entre les États-Unis et la Chine et une pandémie mondiale qui a marqué le début d’une ère de confinements sporadiques dans les grands centres de fabrication, la congestion portuaire chronique aux États-Unis et la lenteur du transport à l’échelle mondiale ont fait réfléchir de nombreuses entreprises. Ceux qui ont toujours compté sur des partenaires en Asie pour fabriquer des marchandises destinées au marché américain à un coût inférieur à celui de leur fabrication au pays pensent maintenant qu’il est peut-être temps de changer.
Les chiffres dressent une image claire. Environ une entreprise américaine sur trois (34 %) en Chine a commencé à développer de nouvelles chaînes d’approvisionnement pour des activités propres à la Chine, aux États-Unis ou à une autre région, selon le sondage de 2021 mené auprès des membres du Conseil commercial États-Unis-Chine. Et ce n’est pas étonnant. Environ la moitié (48 %) des répondants au même sondage ont déclaré avoir perdu des ventes en raison de l’incertitude des clients liée à l’approvisionnement continu.
Il en est résulté ce qu’on appelle le phénomène « Chine + 1 » qui a vu des entreprises américaines établir des partenariats de fabrication d’urgence dans les pays voisins de l’Asie du Sud-Est pour atténuer les perturbations causées par les ralentissements ou les fermetures de production en Chine. Cependant, pour un nombre croissant, le « +1 » est devenu le Mexique, et pour une bonne raison.
Le voisin du sud de l’Amérique possède non seulement une infrastructure de fabrication substantielle et des rangs croissants de travailleurs qualifiés à des taux de main-d’œuvre de plus en plus comparables à ceux de l’Asie du Sud-Est; son accès à la terre permet également aux importateurs de contourner la liste croissante des risques liés au transport maritime. Ces risques comprennent des retards de production soudains et imprévus, des rejets de ports imprévisibles à l’étranger et un traitement des ports tout aussi erratique aux États-Unis, sans compter le risque croissant de non-conformité à une liste croissante de sanctions venant de Washington. L’autre avantage essentiel du transfert de la production au Mexique est la capacité d’importer aux États-Unis avec une exemption de droits dans le cadre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).
Néanmoins, le passage au Mexique n’est pas une expérience entièrement transparente et il y a peu de considérations critiques pour les entreprises américaines qui cherchent à déplacer la production plus près de chez elles.
Conformité réglementaire
L’ACEUM élimine les droits de douane sur presque toutes les marchandises qui traversent les frontières de l’Amérique du Nord, mais ajoute le fardeau de la conformité douanière. Pour être admissibles à l’exemption tarifaire, les entreprises importatrices doivent porter une attention scrupuleuse à la façon dont les importations sont classées et veiller au strict respect des règles d’origine régissant les marchandises importées. Les autorités douanières sont devenues de plus en plus vigilantes pour assurer le respect des ordonnances douanières. Par exemple, le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (U.S. Customs and Border Protection) (CBP) a perçu 42,2 millions de dollars en 2018 à la suite de vérifications des importateurs. En 2021, ce chiffre avait atteint 132 millions de dollars. De même, le CBP a émis 1 385 pénalités en 2018, mais 2 394 en 2021. Les importateurs qui possèdent une vaste gamme de produits ou de marchandises contrôlées voudront s’assurer d’avoir suffisamment de ressources humaines ou de partenaires externes pour gérer le volume de travail associé à la conformité douanière.
Logistique transfrontalière
Même si un déménagement au Mexique atténue les préoccupations liées au transport de marchandises à partir d’un port en Asie et à travers le port de Los Angeles, qui est souvent congestionné, cela présente d’autres défis. Les opérateurs logistiques du Mexique n’ont pas de permis pour le transport longue distance aux États-Unis. Cela signifie que les importateurs américains doivent tenir compte du factage, soit le transport de courte distance près de la frontière américaine et transfert de marchandises d’un transporteur mexicain à un transporteur américain. Pour éviter les maux de tête, il est important de vérifier que votre partenaire de transport peut accomplir le factage et le transport national. Il est tout aussi important d’adopter un modèle de transport multimodal qui utilise de façon stratégique les camions, les trains et les barges. Le transport ferroviaire entre le Mexique, les États-Unis et le Canada se simplifie de plus en plus avec la fusion récente entre le Canadien Pacifique et Kansas City Southern. On s’attend à ce que l’accord permette de détourner jusqu’à 60 000 chargements de camions par année vers le rail par l’entremise d’une ligne de transport unique de marchandises entre les postes frontaliers du Mexique et du Texas et les points du Midwest américain et du Canada.
Valeur et vexation de la réexportation
L’un des avantages souvent négligés de la production de marchandises au Mexique pour l’importation aux États-Unis est le programme de réexportation du Mexique qui permet l’importation de composants de produits au Mexique en franchise de droits à condition qu’ils soient incorporés à un nouveau produit et réexportés dans un délai donné. Le programme est incroyablement bénéfique pour les fabricants en ce qui concerne la limitation des coûts, mais naviguer dans les exigences douanières du Mexique souvent complexes et parfois opaques peut s’avérer difficile pour les entreprises ayant une expérience limitée dans ce domaine. Pour éviter la non-conformité à la réglementation, les entreprises établies aux États-Unis qui se tournent vers le Mexique devraient planifier l’amélioration de leurs équipes internes de conformité douanière ou envisager de travailler avec un partenaire des douanes qui a démontré son expérience dans la facilitation des transactions bilatérales entre les États-Unis et le Mexique.
Considérations relatives à la main-d’œuvre
Le marché du travail du Mexique est idéal pour les fabricants qui cherchent une production géographiquement proche ou qui cherchent à accroître leur production. Il y a une forte disponibilité de la main-d’œuvre et les taux de main-d’œuvre sont une fraction de ce qu’ils sont aux États-Unis. Cependant, il est important de noter que la réglementation du travail au Mexique change, en partie en raison des dispositions de l’ACEUM, qui obligent le gouvernement du Mexique à appliquer un code du travail plus strict, en particulier en ce qui concerne le travail organisé et le vote syndical plus transparent. Ce sujet est déjà devenu un point de contenu dans un certain nombre de cas depuis l’entrée en vigueur de l’ACEUM en juillet 2020, avec des plaintes provenant de Washington selon lesquelles le gouvernement du Mexique ne respecte pas ses obligations en matière de réforme du travail. Il s’agit de considérations importantes pour les fabricants qui cherchent à externaliser la production vers une installation mexicaine existante, car le résultat pourrait varier de la discorde de travail, d’arrêts de travail à des salaires plus élevés et plus.
La position géographique stratégique du Mexique et son inclusion dans l’ACEUM en font un choix évident pour les entreprises américaines comme solution de rechange ou de complément à la fabrication en Asie. Il y a une bonne raison à l’afflux d’investissements américains au Mexique et à l’usurpation récente par le Mexique de la Chine comme principal partenaire commercial des États-Unis. Toutefois, le coût et la commodité devraient être pris en considération en même temps que la question pratique liée à l’administration des douanes et au respect de l’accord commercial le plus important du pays.
Le non-respect de cette consigne pourrait entraîner des coûts imprévus, des maux de tête administratifs et, dans des cas plus graves, la perte de privilèges d’importation et des sanctions financières.
Cora Di Pietro est vice-présidente du conseil en commerce international pour l’entreprise de services commerciaux Société internationale Livingston. Elle est souvent conférencière et présentatrice lors d’événements industriels et universitaires et elle est membre active de nombreux groupes et associations de l’industrie. On peut la joindre à [email protected]