Par Jamie Adams
Il se pourrait que cela fonctionne… au ralenti.
Le projet grandiose conçu par Washington pendant les années Trump, et désormais entretenu par l’administration Biden, pour encourager la diversification des échanges afin de réduire la dépendance à l’égard de la Chine pourrait bien être en train de se mettre en place. Il pourrait y avoir des effets plus profonds pour les entreprises américaines et le commerce mondial dans les années à venir.
En apparence, il semblerait que peu de choses aient changé. Les derniers chiffres montrent que l’équilibre commercial des États-Unis avec le monde à la fin du mois de novembre 2021 représentait un déficit historique. Dans le commerce des marchandises, la valeur des importations a dépassé celle des exportations de 99 milliards de dollars, un chiffre surréaliste si l’on considère les efforts déployés pour réduire notre dépendance à l’égard des importations en provenance de Chine par la mise en œuvre de tarifs douaniers et de sanctions généralisés.
Il n’a pas fallu longtemps aux entreprises américaines ayant des intérêts en Chine pour s’adapter à la nouvelle politique commerciale, en mettant en œuvre une stratégie « Chine plus un » qui crée des redondances dans la chaîne d’approvisionnement en Asie, notamment en Asie du Sud-Est. Au cours de la période de janvier à novembre, les déficits commerciaux avec les pays voisins de la Chine ont augmenté à une vitesse record depuis le début de la guerre commerciale en 2018. Plus précisément, les déficits ont explosé avec des partenaires commerciaux comme Taïwan (+161 %), le Cambodge (+145 %), le Viet Nam (+126 %) et la Thaïlande (+77 %). Tout cela alors que le déficit avec la Chine, qui a certes connu une croissance incrémentale d’une année sur l’autre en 2021, a diminué de 16 % depuis 2018 pour la même période de janvier à novembre. En termes de valeur, le déficit commercial avec la Chine pour la période de janvier à novembre a diminué de 62,5 milliards de dollars entre 2018 et 2021. À l’inverse, la croissance collective du déficit dans l’ensemble des pays d’Asie du Sud-Est susmentionnés a été de 86,7 milliards de dollars. (Il est important de noter que les valeurs ne sont pas corrigées de façon saisonnière ni corrigées en fonction de l’inflation, dont la dernière a connu une croissance importante au cours de la dernière année civile.)
Cependant, le fait de se concentrer sur les données commerciales relatives aux pays d’Asie ne donne qu’une idée partielle de la situation. La structure des échanges s’est déplacée ailleurs et bien plus près des entreprises américaines. On s’attendait à ce que le phénomène de la délocalisation dans un pays proche (nearshoring), où les entreprises américaines déplacent leurs sources d’approvisionnement vers des pays d’Amérique du Nord et du Sud, soit une tendance à long terme. Toutefois, la guerre commerciale, combinée à une crise de la chaîne d’approvisionnement qui a submergé les fabricants, les grossistes, les détaillants et les facilitateurs de commerce électronique, a accéléré le degré auquel les entreprises cherchent plus près de chez elles les biens dont elles ont besoin.
Si l’on compare les chiffres de janvier à novembre 2018 (date du début de la guerre commerciale avec la Chine) à ceux de 2021, le déficit commercial des États-Unis avec le Canada a augmenté de 155 %, passant de 17,2 milliards de dollars en 2018 à 44 milliards de dollars en 2021. Bien que les chiffres des investissements pour 2021 ne soient pas encore disponibles, les investissements américains au Canada entre 2018 et 2020 ont augmenté de 8,8 %, soit 37,2 milliards de dollars canadiens, même si la pandémie a fait des ravages dans les deux économies.
Le déficit commercial avec le Mexique s’est légèrement contracté en 2021 par rapport aux chiffres de 2020, mais une comparaison entre 2018 et 2021 montre que le déficit a augmenté de 40 %, soit de 70,3 milliards de dollars à 98,7 milliards de dollars. Les investissements américains au Mexique ont considérablement diminué entre 2019 et 2020, un résultat de la pandémie et des règlements en matière d’investissements directs étrangers moins favorables, en particulier dans le secteur de l’énergie, promulgués par le président actuel du Mexique. Mais au premier trimestre de 2021, les investissements sont revenus en force avec des gains historiques de 14,8 % en glissement annuel, soit 11,86 milliards de dollars, dont 45 % en provenance des États-Unis.
L’augmentation des échanges et des investissements est le signe d’une transformation significative en cours en Amérique du Nord. Les entreprises américaines commencent à réaliser qu’il y a une disparité de plus en plus grande entre la production en Asie, qui implique des coûts de transport importants et une perturbation potentielle de l’approvisionnement, et tirer parti de l’efficacité des coûts de main-d’œuvre au Mexique et de la main-d’œuvre hautement qualifiée au Canada (et des taux de change favorables avec ces deux pays).
L’importance exacte de la transition vers des chaînes d’approvisionnement centrées sur l’Amérique du Nord dépendra d’une longue liste de variables. En tête de cette liste, toutefois, se trouve le degré d’harmonie entre les trois pays. On s’attendait à ce que la mise en œuvre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) au milieu de l’année 2020 ouvre une ère de calme et de stabilité après trois années d’incertitude causée par les négociations souvent tendues entourant l’accord commercial. Cette certitude s’est avérée de courte durée. Les premiers mois ont été caractérisés par des différends de faible intensité, principalement dans le domaine agricole. En 2021, cependant, les tensions au niveau gouvernemental sur des questions plus importantes ont créé un environnement moins cordial.
Un différend portant sur le fait que le Canada n’a pas respecté ses engagements d’offrir aux producteurs laitiers américains un accès élargi à son secteur laitier protégé a récemment été soumis à l’arbitrage de l’ACEUM à la demande de Washington. Le panel a statué en faveur des États-Unis. Mais aussi vite que le différend a été résolu, le Canada menaçait déjà de prendre les États-Unis à partie pour la récente augmentation par Washington des droits compensatoires sur le bois d’œuvre canadien, un différend qui dure depuis le début des années 1980. Ottawa a déposé un avis juridique en vertu du chapitre 10 de l’ACEUM, mettant ainsi en branle un processus qui pourrait prendre jusqu’à un an pour aboutir.
Un différend distinct, mais non moins important, concernant le crédit d’impôt proposé par l’administration Biden pour les véhicules électriques a été temporairement atténué par le vote du projet de loi « Build Back Better », mais il pourrait resurgir à tout moment si le projet de loi était de nouveau soumis au Congrès ou si la taxe proposée était intégrée dans un projet de loi distinct. Quoi qu’il en soit, le différend a permis de raviver l’opposition canadienne aux politiques « Buy American » introduites par l’administration Trump et renforcées par l’administration Biden, des politiques qu’Ottawa et le Mexique considèrent comme contraires à l’esprit de l’ACEUM.
Plus récemment, Mexico a demandé à un panel de l’ACEUM de régler un différend sur la façon dont le contenu en valeur régionale des automobiles devrait être calculé. Bien que la nature du différend soit liée aux aspects techniques de l’ACEUM, tout conflit sur les règles du secteur automobile risque de s’envenimer étant donné que ce secteur a été au cœur de la renégociation de l’ALENA.
Certes, les relations diplomatiques entre les trois pays restent solides, mais la prolifération des différends commerciaux ne fait que créer de l’incertitude quant au sort de l’ACEUM, qui doit être revu, et potentiellement modifié, par toutes les parties en 2026. Il est inévitable que les industries d’un pays donné défendent leurs propres intérêts concurrentiels, mais la mesure dans laquelle ces questions sont portées au niveau national sous la forme de mesures punitives ou obstructives ne peut que refroidir le sentiment des investisseurs et décourager la tendance à la délocalisation dans un pays proche.
Il est important de noter que la délocalisation dans un pays proche n’est pas simplement un moyen pratique d’atténuer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement en provenance d’Asie à court terme. La délocalisation dans un pays proche pourrait très bien s’avérer être au cœur de la compétitivité mondiale de l’Amérique (et de celle du Canada et du Mexique) à mesure qu’un accord de libre-échange continental comparable prend racine en Asie, créant les conditions de chaînes d’approvisionnement tout aussi efficaces et intégrées sur un marché collectif beaucoup plus vaste.
La tendance à rapprocher les partenaires de la production et de la chaîne d’approvisionnement est évidente depuis le début de la guerre commerciale et a été accélérée par la crise de la chaîne d’approvisionnement, mais un changement radical des chaînes d’approvisionnement n’aura pas lieu du jour au lendemain. Une transformation durable doit être nourrie par un environnement caractérisé par la stabilité, des incitations et des projections positives à long terme.
Cela devrait être la priorité des décideurs politiques des trois parties de l’ACEUM.
Jamie Adams possède une vaste expérience diversifiée en conformité avec les lois nationales et étrangères pertinentes en matière d’importation et d’exportation, ainsi qu’en création et en exécution de plans visant à améliorer les programmes et les systèmes du commerce international et de la chaîne d’approvisionnement internationale.