Par Eddy Mak, Directeur, conseil en commerce international
Du point de vue de l’Asie, un nouveau gouvernement américain devait représenter un changement radical dans les relations de l’Amérique avec l’Extrême-Orient. Depuis trois ans, Washington et Pékin sont pris dans une bataille de volontés autour des politiques commerciales, qui continue de s’éterniser et de faire grimper le coût des échanges commerciaux des deux côtés du Pacifique. Il semble cependant que la lumière au bout du tunnel puisse encore être à une bonne distance.
Au début de décembre, le président élu Joe Biden a déclaré au New York Times qu’il laisserait probablement en place les tarifs existants sur les marchandises d’origine chinoise, préférant prendre le temps d’évaluer la stratégie appropriée envers la Chine en alliance avec les partenaires européens et américains en Asie. L’annonce n’a pas été une surprise en soi, étant donné la position dure de M. Biden vis-à-vis la Chine pendant la campagne électorale. Mais la politique mise à part, il y a de bonnes raisons d’agir rapidement pour désamorcer les tensions actuelles entre Washington et Pékin.
Répercussions majeures
Les répercussions de la guerre commerciale ont été considérables. Moodys Analytics estime que la guerre commerciale a réduit de 0,3 % le PIB américain au cours de la première année seulement, ainsi que 300 000 emplois. Au milieu de l’année 2020, un rapport de recherche de la Federal Reserve Bank of New York et de l’Université Columbia a confirmé que les entreprises américaines ont perdu au moins 1,7 billion de dollars en bourse en raison du conflit qui oppose actuellement Washington et Pékin. En Chine, les répercussions ont été moins graves, mais toujours significatives. À la fin de la première année de la guerre commerciale, la production industrielle de la Chine a chuté à son plus bas niveau en 17 ans et la croissance économique a connu sa plus forte contraction en 27 ans.
Cela a entraîné une baisse des investissements sur le terrain aux États-Unis et en Chine. Alors que de nombreuses entreprises avaient adopté une approche d’attente, croyant qu’une forme de détente significative finirait par se produire, l’effet persistant sur les coûts au débarquement, associé à la vulnérabilité des chaînes de valeur mondiales exposées par la pandémie COVID-19, obligent maintenant les entreprises à repenser leurs stratégies en Chine.
Un jeu de longue haleine
Il est certain que la Chine continue d’être un marché essentiel pour les entreprises américaines. Il est important de se rappeler que bien que la Chine soit souvent citée comme une destination de délocalisation pour les producteurs américains, une grande partie de la production réalisée aujourd’hui au nom des sociétés américaines en Chine est destinée à demeurer en Chine. La montée de la classe moyenne en Chine, aujourd’hui estimée à 400 millions de personnes (soit plus que la population totale des États-Unis), signifie que le maintien de la production en Chine continuera à être pertinent dans un avenir prévisible.
Un sondage récent de l’U.S.-China Business Council (UCBC) démontre que seulement 15 % des entreprises américaines en Chine ont des plans définitifs de départ, une augmentation négligeable par rapport à l’année précédente, mais il est vrai que le volume a presque doublé par rapport à la période précédant la guerre commerciale. Le manque d’urgence autour de l’exode prévu est intéressant étant donné que la même étude a révélé que la guerre commerciale et la perturbation de la production due à l’apparition de la COVID-19 ont un effet négatif. Près de la moitié des entreprises américaines (48 %) ont déclaré avoir perdu des ventes en raison de l’incertitude des clients quant à la continuité de l’offre. Un nombre comparable a changé de fournisseur ou de source d’approvisionnement pour la même raison. Et 39 % ont perdu des ventes en raison des tarifs appliqués par la Chine ou les États-Unis. Néanmoins, 16 % déclarent que la Chine demeure une priorité absolue dans leur stratégie commerciale globale et 67 % affirment qu’elle figure parmi les cinq priorités principales.
Politique de la Chine en 2021
La réaffirmation de la Chine dans le cadre de la stratégie commerciale globale des entreprises américaines signifie que l’industrie américaine restera intrinsèquement liée au marché chinois à court et moyen terme. Et bien que 24 % des entreprises indiquent un arrêt de leurs investissements en Chine pour l’année à venir (soit une augmentation de 300 % par rapport à 2018), seule une entreprise sur cinq a l’intention de transférer ses investissements aux États-Unis (la plupart iront dans d’autres pays d’Asie du Sud-Est ou au Mexique).
En bref, la guerre commerciale ne génère pas la renaissance manufacturière prévue, ni ne réduit l’influence de la Chine dans le commerce mondial. Si l’administration américaine entrante a de bonnes raisons de faire pression sur la Chine pour toute une série de transgressions, tant politiques qu’économiques, la guerre commerciale contribue davantage à freiner qu’à aider les entreprises américaines. C’est pourquoi le chef de la Business Roundtable, un groupe commercial américain regroupant les plus grandes entreprises du pays, a publiquement demandé à la nouvelle administration Biden de commencer à réduire l’amplitude de la guerre commerciale en cours en supprimant les tarifs sur les marchandises d’origine chinoise. L’objectif est de renouer le dialogue avec Pékin et de désamorcer les tensions qui entraînent des risques pour le secteur des investissements. La vitesse à laquelle ce renouement aura lieu dépendra probablement de la mesure dans laquelle Pékin sera en mesure de respecter ses engagements dans le cadre de la phase 1 de l’accord signé avec Washington en décembre 2019. Cet accord devrait permettre à la Chine d’acheter pour 200 milliards de dollars de marchandises américaines d’ici à la fin 2021, mais à la fin de la première année, le rythme des achats est bien en retard sur l’échéancier.
Allègement tarifaire
Les entreprises qui ont continué à dépendre de la production en Chine tout au long de la guerre commerciale ont pu trouver un soulagement pendant une certaine période grâce aux quatre tranches d’exclusions tarifaires mises en place par le bureau du United States Trade Representative. Les exclusions ont apporté un certain bénéfice, en particulier pour les produits des tranches 1 et 2 où 34 % et 37 % des demandes d’exclusion ont été accordées. Le taux d’approbation varie selon le type de produit. Par exemple, 51 % des demandes liées aux produits de consommation de la tranche 1 ont été approuvées, mais seulement 28 % des marchandises intermédiaires. À l’inverse, pour la tranche 2, les marchandises intermédiaires ont connu un taux d’approbation de 48 % et les marchandises de consommation de 28 %. Les approbations d’exclusion pour les tranches 3 et 4 ont été beaucoup plus limitées dans l’ensemble, à 5 % et 1,9 % respectivement.
Certaines entreprises cherchaient à compenser le fardeau des coûts des tarifs en modifiant la composition des produits. Par exemple, une entreprise qui importe une marchandise intermédiaire produite en Chine peut amener le produit plus loin dans le processus de production de sorte qu’il relève d’une classification de produit différente qui n’est pas touchée par les tarifs de la section 301. Cependant, avec autant de produits désormais couverts par les listes tarifaires de Washington, la possibilité de parvenir à une classification des produits non affectés est bien plus limitée aujourd’hui qu’elle ne l’était au début de la guerre commerciale. D’autres ont tenté de contourner les tarifs en utilisant d’autres pays, tels que le Vietnam ou le Mexique, pour le transbordement de marchandises aux États-Unis.
Normalisation des relations
Les derniers mois de 2020 ont été marqués par deux développements importants qui ont eu un impact sur la relation commerciale des États-Unis. Le premier fut l’élection d’un président qui s’est éloigné du populisme, mais qui a adopté le sentiment protectionniste dans le passé. Le deuxième est la signature du Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), un accord commercial impliquant 15 pays de la région Asie-Pacifique qui représentent un tiers du PIB mondial. Le RCEP a le potentiel de renforcer la domination économique de la Chine en Asie et devrait inciter Washington à renouer le dialogue avec Pékin, sous peine de voir son influence s’affaiblir dans la région. Parallèlement, l’intention déclarée du président élu Biden de mettre la Chine face à ses transgressions par le biais d’une coalition multilatérale risque d’être mal accueillie à Pékin. Seul le temps permettra de savoir quel événement aura plus d’influence sur les relations futures. Entre-temps, l’industrie américaine attendra avec impatience une résolution, de préférence le plus tôt possible.
Eddy Mak possède une connaissance approfondie de la logistique et des opérations, acquise après plus de 20 ans de travail dans différentes industries. Il se spécialise dans la stratégie logistique mondiale, la gestion des stocks, la conformité réglementaire, l’exploitation de terminaux de conteneurs, l’expédition d’entreposage et le service à la clientèle.