Par Jill Hurley, Directrice, conseil en commerce international
En temps normal, personne ne s’attend à ce qu’une demande élevée fasse partie des problèmes ou des défis d’une entreprise. Cependant, nous ne vivons pas en temps normal.
Les conséquences de la pandémie ont été un scénario de rêve pour les entreprises qui manquent de liquidités depuis les 18 derniers mois. Une reprise économique précoce aux États-Unis à la suite de la pandémie, jumelée au maintien des mesures de relance liées à la pandémie, a fait en sorte que la demande des consommateurs pour des biens durables a atteint des niveaux quasiment jamais vus.
Mais comme la plupart des entreprises américaines l’ont appris assez rapidement, le fait d’être incapable de satisfaire une forte demande en raison des contraintes de l’offre a un effet contraire sur les affaires. Les tarifs de fret ont atteint des sommets records. À la fin de juillet, la location d’un conteneur de 40 pieds pour faire la traversée Shanghai-Los Angeles coûtait à une entreprise un peu moins de 10 000 $, soit une augmentation de 236 % par rapport à la même semaine l’année précédente.
Si ce n’était que le seul problème, il faudrait tout simplement intégrer le coût du fret plus élevé aux prix. Cependant, ce n’est pas le seul problème. Une fois que les conteneurs arrivent au port, il peut s’écouler plusieurs jours avant qu’ils soient chargés sur un quai. Ensuite, une pénurie de chauffeurs de camion fait en sorte qu’il est quasiment assuré qu’ils resteront au port, imposant des frais de surestaries (également affichant des taux records), avant qu’ils puissent arriver à un centre de distribution ou de traitement, ou directement chez le client.
Les stocks observés avant la pandémie ont été complètement épuisés. De nombreuses entreprises ont de la difficulté à obtenir suffisamment de stocks excédentaires pour stocker des marchandises dans les entrepôts (dans lesquels l’espace est limité et dont les prix sont aussi élevés). Bien que les consommateurs finaux soient frustrés par les retards, les problèmes sont beaucoup plus criants pour les entreprises qui attendent des fournitures, comme des matières premières ou des produits intermédiaires, parce qu’elles ne peuvent pas faire une planification efficace. Les chaînes d’approvisionnement sont des systèmes délicats et précis. La situation d’aujourd’hui est telle que le fournisseur du fournisseur d’un fournisseur ne peut pas obtenir les matériaux dont il a besoin pour assurer la commercialisation. Cela a un effet domino sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Une expédition tardive ou un retard de production peut signifier qu’un client sera déçu, un résultat que la plupart des entreprises, tout particulièrement les petites et moyennes entreprises, doivent éviter à tout prix.
Aucune fin en vue
En mars 2021, le port de Savannah, en Géorgie, a enregistré un sommet mensuel jamais vu en matière d’EVP. Savannah se classe au deuxième rang des ports sur la côte Est des États-Unis (après Newark, au New Jersey). À Newark, les volumes d’une année à l’autre ont augmenté de près de 10 % pour la période se terminant en mars 2021. Les ports de la côte Est ont accueilli des navires d’Asie, alors que les expéditeurs ont changé de voies de transit pour éviter les retards se calculant en jours aux ports de Los Angeles et de Long Beach, qui accueillent environ la moitié des marchandises provenant d’Asie. Le port de Savannah prévoit que les volumes demeureront élevés jusqu’en 2022.
Mais les volumes élevés ne sont qu’une partie du problème. Dans de nombreux cas, les expéditeurs retardent le transport terrestre des marchandises à partir des ports parce qu’ils manquent d’espace dans leurs entrepôts. Selon la société immobilière commerciale CBRE, les loyers industriels moyens ont augmenté de 8,3 % sur douze mois par rapport à 2020, et de 7,1 % au T1 2021. Les hausses tarifaires sont beaucoup plus élevées dans les régions côtières où les principaux ports sont situés (p. ex., le New Jersey et Los Angeles ont vu les loyers augmenter de 33,3 % et de 24,1 % respectivement). Les prix élevés reflètent la rareté de l’espace d’entrepôt qui a été favorisée par la croissance du commerce électronique stimulée par les commandes passées lors du confinement aux États-Unis.
6 mesures que les entreprises devraient prendre pour réduire les perturbations
Accroître la visibilité : La plupart des entreprises connaissent bien leurs fournisseurs, mais en connaissent peu sur les fournisseurs de leurs fournisseurs. Il est essentiel d’avoir un aperçu de la façon dont vos fournisseurs obtiennent leurs intrants et auprès de qui ils les obtiennent. L’emplacement des intrants des fournisseurs est essentiel, non seulement parce que cela vous permet de déterminer s’il pourrait y avoir une congestion au cours des étapes du transit, mais aussi parce que les intrants de produits provenant d’emplacements sanctionnés (comme la région de Xinjiang, en Chine) pourraient faire en sorte que des biens se voient refuser l’accès aux États-Unis, ce qui pourrait créer un retard encore plus long.
Diversifier l’approvisionnement : Il faut beaucoup de temps pour établir des relations avec les fournisseurs. Il peut sembler complexe de trouver un nouveau partenaire. Cependant, le fait de mettre tous vos œufs dans un même panier est une initiative risquée dans un monde où les confinements sont sporadiques et sont souvent imposés avec peu ou pas de préavis. En établissant des relations avec d’autres fournisseurs, de préférence situés plus près de votre marché principal, vous pouvez vous préparer à toutes les éventualités, en plus d’avoir la capacité de réduire le temps de transit et de profiter potentiellement des taux de droits préférentiels.
Obtenir des locaux : Aujourd’hui, les locaux d’entrepôt sont extrêmement limités. En fait, les taux d’inoccupation sont très faibles. Lorsque de nouveaux locaux sont libérés, ils sont rapidement occupés à nouveau. Au T3 2020, le développement de locaux industriels a atteint 97,4 millions de pieds carrés. Cependant, ces locaux ont été occupés presque immédiatement. À la fin de 2020, le développement de locaux d’entrepôt a atteint plus de 312 millions de pieds carrés. Cependant, plus du tiers avait été loué préalablement.
Planifier (bien) à l’avance : Le fait d’obtenir des locaux de stockage vous permet d’assurer une planification. Dans un environnement de chaîne d’approvisionnement normal, les marchandises de la haute saison seraient expédiées vers les États-Unis pendant les mois d’été. Dans l’environnement actuel, ils pourraient devoir être expédiés immédiatement après la haute saison précédente. Mais sans locaux pour entreposer ces marchandises, la planification d’avance devient presque impossible.
Surveiller la situation mondiale : Une fois que vous savez où les fournisseurs de vos fournisseurs obtiennent leurs intrants, surveillez le nombre de cas de COVID et les taux de vaccination. Risque-t-il d’y avoir une nouvelle vague? Envisage-t-on un nouveau confinement? Même si aucun confinement n’est imposé, vous voudrez peut-être compter sur un autre fournisseur pour l’ensemble ou une partie de l’expédition de vos stocks suivants au cas où un autre confinement serait envisagé. L’imposition d’un confinement peut être inattendue.
Trouver des économies dissimulées : Dans les chaînes d’approvisionnement, on trouve souvent de nombreuses économies cachées, de la correction de la mauvaise classification des importations à la mise en œuvre de programmes de droits préférentiels (comme les accords de libre-échange), en passant par le remboursement de droits pour le trop-perçu sur les marchandises maintenant exemptées, mais précédemment tarifées, et le recours à des mécanismes obscurs, comme la règle de première vente, pour économiser sur les droits à payer. Ils peuvent aider à neutraliser la hausse des coûts de fret et d’entreposage, ce qui vous permet de maintenir votre compétitivité par rapport aux grandes entreprises qui affichent une plus grande capacité quand vient le temps d’absorber les coûts imprévus.
La perturbation de la chaîne d’approvisionnement attribuable à la pandémie de COVID-19 a forcé la fermeture de milliers de petites entreprises aux États-Unis. La survie des entreprises qui restent, surtout celles qui comptent sur des fournisseurs internationaux, dépendra fortement de la prospective, de la planification et d’un passage d’une approche juste à temps à une approche juste au cas. Bien qu’il soit impossible de prédire l’imprévisible, il est possible de se préparer au pire, tout en espérant que tout aille pour le mieux. Dans l’environnement d’aujourd’hui, l’ancien dicton, à savoir que l’échec de la planification équivaut à la planification de l’échec, n’a jamais eu autant de sens.
Jill Hurley est directrice des services-conseils en commerce mondial de Livingston International, aux États-Unis. Elle apporte une grande expertise dans l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité des importations et des exportations, les audits de conformité, les exigences en matière de licences d’exportation, la sécurité de la chaîne d’approvisionnement, la préparation, la présentation et la supervision de projets d’atténuation des pénalités et l’assistance en matière de recours commerciaux américains, tels que les droits antidumping et compensateurs, et les ordres en matière de propriété intellectuelle.